Les relations entre les chefs militaires qui dirigent le Mali, le Burkina Faso et le Niger, et les multinationales qui exploitent leurs ressources minières, ne sont pas au beau-fixe. Dans ces pays, des processus sont en cours pour la nationalisation de ces ressources, provoquant des conflits entre d’anciens partenaires.
Les juntes parlent des conditions de transparence qui ne permettent pas à leur pays de tirer un maximum de profit de leurs propres ressources. Ce qui constitue un handicap pour le développement de ces pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
A plusieurs reprises, les militaires ont accusé les multinationales étrangères de favoriser leurs intérêts au détriment de ceux des populations locales.
Dans ces pays, ces dirigeants ont entamé la reprise de la gestion des sociétés minières, la révision des codes miniers et la renégociation des contrats avec les multinationales, avec en toile de fond la création d’autres sociétés étatiques pour tirer beaucoup plus de profits de l’exploitation des ressources et renflouer les caisses de l’Etat.
« Les ressources minières sont à la fois une source de richesse et un levier de souveraineté. La nationalisation est un processus légal. Or, les pays qui exploitent, sans retour sur investissement, les matières premières d’autrui s’en offusquent. C’est en fait l’exploitation dans des conditions léonines qui relève de l’illégalité », indique Dr Yves Ekoué Amaïzo, président et directeur de Afrocentricity Think Tank basée à Vienne en Autriche qui traite des sujets sur les ressources minières, l’économie et la sécurité dans les pays du Sahel.
Une volonté commune de nationalisation au sein de l’AES

Le mois dernier, les autorités militaires au Mali ont pris des mesures à l’encontre des filiales de Barrick Mining (ABX.TO), une société canadienne dont le permis d’exploitation devrait finir en février 2026.
Après avoir bloqué les exportations et saisir les stocks d’or détenus par les filiales, les autorités militaires ont mis la société sous le contrôle de l’Etat à travers un tribunal de Bamako à la suite du litige portant sur les taxes et la propriété.
Les deux parties négocient depuis 2023, selon un communiqué du gouvernement, la mise en œuvre d’un nouveau code minier qui augmente les taxes et donne une plus grande part, dans les mines d’or, au pays.
Quant au Burkina Faso qui a révisé son code minier l’année dernière, le pays a nationalisé cinq mines d’or qu’il a confiées à la Société de participation minière du Burkina (SOPAMIB) qui a pour mission de posséder, gérer et exploiter des actifs miniers stratégiques.
A travers un décret publié le 11 juin 2025 par le gouvernement, ce sont deux mines d’or en exploitation et trois permis d’exploration détenus par des filiales de la société Endeavour Mining (EDV.L), côtée à Londres, qui ont été confié à la société publique burkinabè.
Le gouvernement a donc acquis par cession directe d’actions et de parts sociales auprès des sociétés Endeavour Mining et Lilium Mining les actifs de Wahgnion Gold SA, SEMAFO Boungou SA, Ressources Ferké Sarl, Gryphon Minerals Burkina Faso Sarl et Lilium Mining services Burkina Faso qui ont été confiés à SOPAMIB.
De son côté, c’est par décret pris le 19 juin 2025 que le gouvernement du Niger a annoncé la nationalisation de la Société des mines de l’air (SOMAIR) dont 63,40% des actions étaient détenues par la société française de combustibles nucléaires Orano, l’ex-Areva, et 36,60% par la Société du patrimoine des mines du Niger (SOPAMIN).
Les actions et le patrimoine de SOMAIR « sont intégralement transférés, en toute propriété à l’Etat du Niger », selon le communiqué du Conseil des ministres.
Et de préciser : « Les détenteurs d’actions transférés à l’Etat bénéficient d’une indemnité en compensation des actions détenues dans le capital de SOMAIR, en tenant compte de toutes les obligations légales qui leur incombe à l’échelle nationale notamment les frais de réhabilitation des sites miniers ».
Dans cette politique de nationalisation des ressources minières, les trois Etats du Sahel ont évoqué des griefs contre les multinationales avec qui leurs pays ont traité pendant des années.
Les raisons derrière ces nationalisations

Que ce soit le Mali, le Niger ou le Burkina Faso, c’est au nom de la souveraineté nationale que cette politique de mainmise sur les ressources de ces pays est mise en oeuvre, selon les autorités.
Le Burkina Faso a souligné dans son décret que l’acquisition des cinq mines au profit de l’Etat « s’inscrit dans le cadre de la politique de souveraineté de l’Etat, en matière de ressources minières, afin d’en optimiser l’exploitation au profit de la population ».
Pour sa part, le Niger a indiqué que la nationalisation de SOMAIR « va permettre une gestion plus saine et plus durable de la société et par conséquent, la jouissance optimale des richesses issues des ressources minières par les Nigériens ».
Et les autorités militaires du Mali de réitérer que la nationalisation des ressources minières permet au pays d’affirmer sa souveraineté sur ses richesses naturelles, augmenter les revenus de l’Etat et favoriser un développement plus inclusif et local.
Les dirigeants militaires de l’AES incriminent également les codes et les contrats miniers qui seraient en défaveur de leur pays. Ces codes miniers comprennent notamment l’attribution des permis, les droits et obligations des sociétés minières, la régulation et le contrôle, la protection de l’environnement et les retombées économiques pour les pays.
C’est surtout sur le dernier point que les trois pays accusent les multinationales. Sur ce point, l’exploitation des ressources minières devraient profiter aux pays par le biais des revenus fiscaux, des redevances et de la participation des Etats qui évoquent un manque de transparence.
« Depuis quelques décennies, des voix s’élèvent pour dénoncer les conditions d’exploitation des ressources africaines, mais cela a rarement trouvé écho auprès des différents dirigeants successifs malgré les actions des acteurs de la société civile. Il a fallu l’avènement de ces pouvoirs de « transition » pour que le sujet soit sérieusement pris en main par les dirigeants », fait remarquer Badi Haidara, Statisticien et Expert en Mines.
Le Niger par exemple a reproché à Orano une inégalité dans la commercialisation de l’uranium exploité à travers SOMAIR. « De 1971, date de démarrage des activités à 2024, la production cumulée de cette mine d’uranium est de 81 861 TU. La production commercialisée est de 80 518 TU repartie comme suit : Orano a enlevé 86,3% de la production totale commercialisée; SOPAMIN a commercialisé 9,2% de la production totale commercialisée », a indiqué en juin dernier un communiqué du gouvernement.
Selon ce dernier, « l’entente faite par les actionnaires, l’uranium produit par la SOMAÏR est enlevé par les actionnaires au prorata de leurs participations respectives. Mais les chiffres mentionnés sont très loin de refléter, comme on le constate, cette règle de partage ».
Comme au Burkina Faso et au Niger, le Mali a également évoqué la non-transparence dans les contrats, la faible part des revenus de l’État, et des problèmes environnementaux liés à l’exploitation.
« Le manque de transparence sur les matières premières extraites et la trop faible part des revenus, souvent non vérifiés, transmis aux Etats qui estiment qu’il faut renégocier la part qui leur revient de droit. Donc ce sont les inégalités dans les répartitions des profits et l’exploitation massive des ressources naturelles sans volonté de transformation dans la chaine de valeurs locales qui posent problèmes », indique le Dr Yves Ekoué Amaïzo, de Afrocentricity Think Tank.
Pour lui, les pressions extérieures multiples (politiques et des forces du marché), les avantages fiscaux octroyés aux entreprises multinationales par les régimes précédents sont excessifs avec des exonérations fiscales et douanières qui privent les pays de recettes essentielles pour le développement, la création d’emplois décents et surtout l’amélioration du bien-être des populations locales.
En plus, le Dr Amaïzo note une absence de contrôle des Etats dans la gestion des sites miniers, « souvent dominés par des entreprises étrangères et leurs agents de sécurité, qui fait que ces espaces sont devenus souvent des territoires non africains, et certains bénéficient même de « points francs » ou de « statut diplomatique » ».
« Ces trois Etats entrent d’abord dans une phase de négociation. La première des réactions se traduit souvent par une révision approfondie des codes miniers et des codes d’investissement, l’annulation des contrats, la fin des privilèges contractuels, etc. afin de récupérer de manière conjoncturelle au moins une partie des revenus non déclarés, puis négocier les transferts de savoir-faire, de technologies et de coopération future selon des conditions plus équitables et transparentes », déclare-t-il.
Le partage inégal des revenus, une faible fiscalité et les exonérations fiscales abusives, une absence de transfert de technologie et de compétences, une absence de création d’externalité positive conséquente au regard des enjeux financiers ont obligé ces dirigeants à la nationalisation, selon Badi Haidara, Expert en mines et statisticien.
« Dans plusieurs contrats miniers, l’État ne perçoit que 10 à 20 % des revenus issus de l’exploitation minière sous forme de participation minoritaire au capital. Le reste (80 à 90 %) va aux entreprises étrangères qui financent l’exploitation », ajoute-t-il.
Ces nationalisations, avec les reprises des sociétés d’exploitation par les pays, créent des tensions avec les multinationales qui recourent aux tribunaux.
Des contentieux devant les tribunaux

La reprise en main des sociétés minières par les pays de l’AES n’est pas un fleuve tranquille. Le processus conduit à des contentieux qui se retrouvent devant les tribunaux, soit nationaux ou internationaux.
Au Mali, c’est un tribunal de Bamako qui a placé la société canadienne Barrick Gold Mining sous le contrôle de l’Etat, avec un blocus sur ses exploitation et une saisie des stocks d’or. La société a indiqué qu’elle ferait appel.
« La justice n’a été ni entendue, ni servie », a déclaré à Reuters Issaka Keita, l’un des avocats de Barrick.
La société française de combustibles nucléaires a engagé plusieurs procédures internationales d’arbitrage à l’encontre de l’Etat du Niger, depuis que la société a constaté la perte de contrôle de ses filiales nigériennes en décembre 2024. Les affaires sont pendantes devant le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI).
« Cette action fait suite à une première requête d’arbitrage engagée le 20 décembre 2024 à l’encontre de l’État du Niger relative au retrait du permis d’exploitation de la mine d’IMOURAREN ». Et une autre plainte contre l’Etat du Niger concernant SOMAIR.
La nationalisation des ressources soulève des problèmes au Burkina Faso également. La tension entre les investisseurs étrangers et l’Etat est palpable. Mais derrière tout cela se pose des enjeux économiques dont sont conscients les Etats, selon des experts.
Des enjeux financiers liés à l’exploitation de ces ressources

Le Burkina Faso, quatrième producteur d’or sur le continent, a une production estimée à 58 tonnes d’or par an. 66 tonnes d’or sont déclarés par le Mali en 2022 et la production annuelle du Niger est estimée à 45 tonnes d’or.
En dehors de l’or, selon Afrocentricity Think Tank, les trois pays possèdent l’uranium, le pétrole, le lithium, les métaux rares et stratégiques.
Selon Dr Yves Ekoué Amaïzo, l’exploitation des ressources minières dans les pays de l’AES représente un enjeu financier stratégique majeur. « Et cela pour au moins deux ou trois raisons : les rentrées fiscales pour améliorer les recettes de l’Etat, l’utilisation de ces recettes publiques pour réduire la fiscalité sur les ménages et construire des infrastructures de bien-être y compris l’énergie, et enfin la souveraineté sécuritaire, économique et politique ».
Il existe de grands enjeux économiques derrière l’exploitation par ces pays eux-mêmes, des ressources minières. Avec la nationalisation, le Mali par exemple prévoyait de collecter 1,2 milliard de dollars américains de recettes minières pour le premier trimestre de 2025, Soit au moins un triplement de ce qui se pratiquait avant, selon Afrocentricity.
Afrocentricity, se basant sur les données de la Banque Mondiale, souligne que sans transformation, on oscille entre 60 % et 75 % des recettes d’exportation d’or dans chacun des trois pays de l’AES.
Au Mali par exemple, l’or contribue environ à 10 % au PIB du Mali. Ce métal seul, contribue environ à 20 % du budget de l’Etat malien et jusqu’à 75 % des recettes d’exportations. « Nous sommes dans les mêmes grandeurs pour les autres pays de l’AES », fait noter Badi HAIDARA, Expert des mines.
La valeur ajoutée du secteur minier en 2023 pour chacun des trois pays étaient selon les données de la Banque mondiale :
- Burkina-Faso : 18,6 % du PIB, soit 20,3 milliards de USD ;
- Mali : 17,2 % du PIB, soit 24,6 milliards de USD
- Niger : 11 % du PIB, soit 16,7 milliards de dollars américains (USD).
En comparaison, la valeur ajoutée du secteur minier pour l’Afrique subsaharienne est estimée à 16,5 % du PIB en 2023.
« Au-delà de ces chiffres, nous pouvons citer quelques aspects financiers comme les recettes fiscales et devises étrangères obtenues via les exportations, les investissements directs étrangers et les externalités positives que cela génère. La plupart des pays africains sont très dépendants des importations, plus encore souvent sur des biens et services vitaux. Ces importations nécessitent l’acquisition de devises étrangères. Il s’avère que la principale source de devise concerne les matières premières extractives », indique M. Haidara.
Dr Amaïzo ajoute que la contribution au Produit intérieur brut suppose que la valeur ajoutée se crée localement. Or, l’essentiel de ces matières premières du sous-sol sont exportés. « L’essentiel de l’investissement direct étranger (IDE) est englouti dans le secteur minier, mais l’impact demeure limité sur la croissance locale ».
Avec la transformation industrielle, poursuit-il, cette valeur ajoutée peut être doublée en moins de 5 ans et constituer une véritable marge décisionnelle pour ces pays, pris individuellement ou collectivement.
Les logiques de fixation échappent complètement à ces pays, selon l’expert Badi Haidara. De ce fait, en cas de baisse des prix, c’est tout l’équilibre budgétaire de l’état qui est menacé avec la détérioration des termes de l’échange. « Nous comprenons donc ici qu’au-delà des enjeux financiers l’exploitation de ces ressources est un des piliers des budgets nationaux des états de l’AES ».
Comment faire profiter aux populations ?

Selon les experts, la nationalisation des ressources des Etats de l’AES peut profiter aux populations à condition qu’il y ait une gouvernance éthique et de la transparence autour de la gestion, « et donc pas de corruption ».
« La nationalisation des ressources dans les pays de l’AES (Mali, Burkina Faso, Niger) ouvre une opportunité historique pour transformer la richesse du sous-sol en emplois décents et en pouvoir d’achat pour la population, avec en filigrane, les recettes réinjectées dans les infrastructures de base dont l’énergie, les infrastructures d’interconnexion, les données digitalisées, etc. », déclare Dr Yves Ekoué Amaïzo.
Selon lui, cette politique devrait s’articuler autour de priorités stratégiques telles que les investissements dans les infrastructures de base, le soutien à l’entrepreneuriat, la création d’emplois accompagnée de formations adaptées, ainsi que la mise en place d’écoles spécialisées dans les techniques minières pour renforcer les compétences nationales.
Il insiste également sur l’importance de promouvoir l’industrialisation et la transformation locale des ressources, de faciliter l’accès à des technologies facilement maintenables, et de soutenir la création de petites et moyennes entreprises ainsi que d’industries locales de sous-traitance. Enfin, il plaide pour un versement transparent des recettes issues des mines dans des fonds souverains, assortis d’un contrat social garantissant une redistribution équitable et le financement de projets à long terme.
M. Haidara, de son côté, estime que les Etats de l’AES doivent « investir davantage dans une société nationale d’exploration accompagnée d’un transfert de technologique et une politique d’éducation massive via des bourses à court terme.
Il ajoute en affirmant qu’il faut pousser le modèle d’une société nationale d’exploitation qui ne se comportera pas en holding des participations de l’État, mais comme une véritable société d’exploitation minière. « Pour cela, il va falloir aller plus loin en prenant plus de 51 %, et en ayant la maitrise technologique au niveau national. »
Il faut en outre rationaliser les bénéfices de ces ressources en faisant de la transformation locale une priorité. « Il y a déjà des initiatives dans ce sens dans les différents pays de l’AES. En ce qui concerne l’Or, nous avons des raffineries opérationnelles et d’autres en cours d’opérationnalisation au Mali et au Burkina. De même pour le pétrole au Niger. L’enjeu en ce qui concerne le raffinage est l’augmentation des capacités de raffinage », souligne l’Expert des mines, Badi Haidara.
Pour lui, plus ces pays transforment localement plus ils créent de la valeur. Et cela permet de sortir de la logique pure d’exportation de matière première même si cela ne cessera pas.
La transformation locale peut se décliner en la mise en place d’usines de raffineries d’or, d’unités de production de lingots d’or, de construction de centre de stockage des produits raffinés, d’usines de transformation sur place du lithium (carbonate ou hydroxyde de lithium), selon Dr Amaïzo.
« Rapidement en 5 ans, une chaîne de valeur locale devrait se constituer autour du lithium, avec des emplois qualifiés et des revenus accrus. Il s’agit là d’un développement intégré et adapté aux pays souverainistes. Cette approche alternative du développement devrait permettre au Mali et plus largement à l’AES de devenir des acteurs stratégiques dans la transition énergétique mondiale ».
Défis sécuritaires et ressources minières
Selon le statisticien et expert en mines, les pays peuvent tirer profit de cette nouvelle politique minière pour enfin accélérer la pacification totale de l’espace AES.
« Et vu le contexte géopolitique d’hostilité financière des institutions de Breton Woods, des embargos de fait sur les achats d’armes par le bloc transatlantique, le financement rapide de la sécurité des populations passera nécessairement par ces ressources ».
C’est pourquoi selon lui, il faut revoir les proportions afin de donner plus d’importance au redéploiement de l’état et l’amorçage des grands projets de développement à moyen et long terme.