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COMMERCE : L’impact de l’accord de l’OMC sur la fin des subventions néfastes à la pêche

Par Oumar Mokou
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Négocié depuis vingt-cinq ans, le premier volet de l’accord de l’Organisation mondiale du commerce sur les subventions à la pêche est entré en vigueur ce lundi 15 septembre. Il oblige les États à tenir compte de la durabilité des activités qu’ils soutiennent. Toutefois, la question de la surcapacité des navires de pêche n’est pas traitée et l’accord peut encore capoter si le second volet n’était pas adopté.

Géraud Bosman-Delzons

  • Pourquoi tant de temps pour cet accord ?

Environ 35% des stocks de poissons sont surexploités dans le monde contre 10% en 1974, selon la FAO, dont le rapport fait autorité sur cette mesure. La quasi-totalité du reste est exploité à son maximum. Cela menace la durabilité des ressources halieutiques, source de protéines pour plus d’un milliard de personnes et de millions d’emplois directs et indirects. Cette trajectoire à la hausse se poursuit à la faveur d’une demande et d’une consommation toujours plus grandes et d’une offre qui s’efforce d’y répondre. Les subventions dites « néfastes » à la pêche en sont un facteur-clé.

L’accord sur les subventions à la pêche était négocié depuis 2001 sous l’égide de l’OMC. Adopté en juin 2022, il a dépassé ce lundi 15 septembre le seuil deux tiers des ratifications nécessaires : Kenya, Brésil, Tonga et Vietnam ont permis d’atteindre le seuil de 111 États sur 166 à avoir déposé leurs « instruments d’acceptation », ce qui le rend désormais applicable. « On s’attend à ce que ce nombre augmente jusqu’à atteindre un niveau proche de la totalité des membres de l’OMC », explique Tristan Irschlinger, expert de ce dossier à l’Institut international pour le développement durable (IISD), une ONG indépendante. « C’est une magnifique nouvelle. C’est quelque chose qui va changer la donne parce que les États ne mettront plus en pratique leurs politiques de subventions dans un vide juridique, ils devront avoir les questions de durabilité en tête. » « On avait besoin d’un cadre légal. On l’a. C’est un jour historique et une étape fondamentale pour la pêche durable », abonde Alexandre Iaschine, directeur de la Fondation de la Mer.

Il s’agit en effet du premier accord de l’OMC à intégrer une dimension environnementale dans ses règles commerciales. « Les subventions ne pourront donc plus soutenir des bateaux et des flottes pratiquant des méthodes de pêche INN et vidant l’océan de ce qu’il a de précieux à nous offrir », s’est félicité Olivier Poivre d’Arvor, l’ambassadeur français de l’océan et des pôles. C’est donc un très grand jour pour l’OMC, pour l’océan, bien commun, pour le multilatéralisme, pour la planète et les peuples. »

C’est aussi un rare succès pour cette institution de 30 ans, reflet d’un multilatéralisme en crise. Dans ce contexte, un accord contraignant qui parvient à réunir la signature de la Russie, des États-Unis, de la Chine, du Brésil et de l’UE peut même laisser songeur sur sa portée réelle.

« Ces règles sont d’une logique implacable » du point de vue de l’environnement comme du bien-être des populations de pêcheurs, reprend le spécialiste de l’IISD, « personne n’a intérêt à soutenir financièrement la pêche illégale ou la pêche de stocks déjà surexploités. Il n’y avait pas matière à s’y opposer sans perdre la face devant les autres États et avoir l’air incohérent. »

Dans ce cas, pourquoi a-t-il mis si longtemps à devenir réalité ? « On n’a pas toujours négocié avec les mêmes approches. Cette approche plus parcellaire de l’accord, axée sur la pêche illégale ou les stocks surexploités, n’a émergé qu’en 2015. » Guerre en Ukraine, sièges vacants à la direction de l’OMC, Covid-19 ont participé au ralentissement. « Et puis la pêche a souffert de dynamiques négatives sur d’autres dossiers de négociations. » Or, le principe de « l’engagement unique » régit officiellement les négociations depuis l’ouverture du cycle de Doha en 2001, c’est-à-dire qu’« il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout ». Pendant longtemps, aucun thème de négociation n’a pu faire l’objet d’un accord séparément des autres. Mais depuis 2013, ce principe semble être abandonné au profit d’une approche plus flexible permettant des accords sectoriels et résultats partiels, et l’adoption de l’accord en 2022 en fut un signal.

Des délégués posent pour une photo de famille lors de la 13ème conférence ministérielle de l'OMC à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, le 26 février 2024.
Des délégués posent pour une photo de famille lors de la 13ème conférence ministérielle de l’OMC à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, le 26 février 2024. © Abdel Hadi Ramahi / Reuters
  • De quelles subventions s’agit-il ?

Avec 111 pays ratificateurs, ce sont « déjà presque 90% des subventions mondiales à la pêche qui seront potentiellement disciplinées par l’accord », a calculé Tristan Irschlinger.

En 2018, selon une étude qui fait référence et qui devrait être mise à jour en fin d’année, 35,4 milliards de subventions publiques étaient versées par les États aux pêcheries, avec en tête : Chine, UE, États-Unis, Corée du Sud, Japon… Sur cette somme, « les gouvernements dépensent environ 22 milliards de dollars en subventions préjudiciables qui contribuent à la surpêche et à l’épuisement des ressources marines », a dénoncé la directrice de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala.

Le soutien d’un État s’adresse à l’ensemble d’une filière ou d’une flotte nationale, industrielle ou artisanale, ou à des sous-groupes, mais pas de manière individuelle. La FAO distingue quatre grandes catégories de subventions aux pêches, nombreuses et variées. Parmi elles : crédits ou reports d’impôts, prêts d’investissements favorables,détaxation du carburant, subvention à la pompe ou à la construction de bateaux de pêche, pour permettre à ces navires de pêcher plus loin, plus longtemps, et en plus grande quantité. Les aides sont principalement octroyées aux grandes compagnies pour renforcer les capacités de pêche des bateaux.

  • Qu’est-ce que la pêche INN ?

C’est la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), pratiquée de manière volontaire ou involontaire.

La pêche illicite est celle pratiquée par des navires (étrangers ou non), sans autorisation ou à l’encontre des lois : pêche sans permis, ou pratiquée les aires marines protégées (AMP), ou avec engins interdits (la dynamite est encore utilisée), pêche dépassant les quotas ou pêche d’espèces interdites.

La pêche non déclarée désigne la non-déclaration, la fausse déclaration ou la sous-déclaration des informations relatives aux activités de pêche ou de capture. Par exemple, lorsque la taille des individus pêchés est trop petite ou bien qu’ils ne sont pas ceux qui étaient ciblés et sont rejetés en mer, ou encore lorsque les conditions de pêche ou de transport de la marchandise sont cachées ou erronées.

Enfin, la pêche non règlementée couvre la capture de stocks qui ne font pas l’objet de gestion ou de conservation.

« L’accord vise notamment les activités de pêche industrielles qui tirent profit de manière illégale parce qu’elles savent que les risques encourus sont en général assez faibles », précise Tristan Irschlinger. Par nature difficile à évaluer, la pêche INN représentait, au cours des années 2000, entre 11 et 19% des captures mondiales de poissons, environ 26 millions de tonnes de poissons, pour une valeur de 10 à 23 milliards de pertes. Ces chiffres très souvent cités sont probablement caducs : mentionnés dans le rapport spécial de la Cour des comptes européenne, ils proviennent d’une étude parue en 2009. Ils sont sûrement bien supérieurs à l’heure actuelle.

La pêche INN se confond avec la criminalité organisée, rappelle la Fondation de la mer : « au-delà de mettre les stocks de poissons en danger et de menacer la sécurité alimentaire des plus démunis, il est aussi question de corruption, de pratiques mafieuses, d’évasion fiscale, d’esclavage « moderne », de blanchiment d’argent sale et de crime organisé ».

  • Que dit l’accord qui entre en vigueur ?

L’accord Fish 1 se concentre sur les situations « les plus alarmantes d’un point de vue de la durabilité, lorsque qu’il est beaucoup trop risqué de donner des subventions », explique Tristan Irschlinger.

Il interdit les subventions des États aux navires et opérateurs (entreprises ou particuliers) dans trois cas : lorsque les activités de pêche sont illégales (article 3) ; lorsque les stocks de poissons sont surexploités (article 4). Une flexibilité ici toutefois : la subvention pour les pêcheurs est autorisée si par exemple une politique de quota est prise pour reconstituer le stock – la pêche est alors durable – comme ce fut le cas pour le thon rouge en Méditerranée, pendant près une décennie.

Troisième cas, lorsque la pêche se déroule en haute mer (article 5), une zone non réglementée par les États, qui n’appartient à personne ; l’accord offre ainsi une protection pour les cas où il n’existe pas de mesures de gestion des stocks. À ce titre, le traité sur la Haute mer (BBNJ), qui devrait lui aussi entrer en vigueur lors de l’Assemblée générale de l’ONU le 23 septembre, viendra renforcer l’accord de l’OMC, notamment à travers la création d’aires marines protégées dans lesquelles une ou toute forme de pêche serait interdite.

En outre, le texte garantit un soutien financier aux pays en développement et les moins avancés : un fonds, doté à ce jour de 18 millions de dollars, a été créé pour soutenir le secteur vers une pêche plus durable. Un délai de deux ans est par ailleurs accordé à ces pays pour se mettre en conformité.

Enfin, les signataires devront faire preuve d’un « soin particulier et de modération » lorsqu’ils accordent des subventions à des navires ne battant pas leur pavillon ou s’il s’agit de stocks de poissons dont l’état n’est pas connu. Un langage assez faible pour cette zone grise du droit maritime que sont les pavillons de complaisance.

  • Comment la contrainte pourra-t-elle s’exercée ?

L’OMC dispose d’un Organe de règlement des différends (ORD) qui tranche les disputes entre États qui fait des recommandations. Mais il incarne la bête noire des États-Unis qui le paralysent depuis plusieurs années en bloquant la nomination de juges.

Si les recommandations de l’ORD (exemple : supprimer immédiatement la subvention) ne sont pas appliquées, « des sanctions pourront être appliquées en vertu du droit de l’OMC, ce qu’on appelle des contre-mesures appropriées, détaille l’expert de l’IISD. De quelle nature pourrait être la sanction appliquée dans ce cadre des subventions à la pêche ? L’accord ne statue pas là-dessus. On ne le sait pas encore, c’est la pratique qui le dira. » Dans le passé, les sanctions étaient d’ordre commercial (augmentation de tarifs douaniers…). Qu’en sera-t-il avec cet accord qui comporte un aspect environnemental inédit ?

Quoi qu’il en soit, les États devraient rarement en arriver là, car un Comité des subventions à la pêche aura pour tâche de surveiller l’application de ces règles. « La plupart des questions seront réglées à ce niveau plus technique reprend Tristan Irschlinger. C’est dans cette vie régulière de l’accord qu’il y aura certainement un impact efficace. » Appelés à s’auto-surveiller, les Etats se réuniront deux fois par an et étudieront les subventions à la loupe. Les récalcitrants seront poussés à justifier leurs actions ou inactions.

Pour cela, les pays seront tenus de communiquer à l’OMC des renseignements tels que l’état des stocks de poissons, les navires bénéficiant de subventions, les montants de celles-ci, etc. Ils devront également partager la liste des navires dont il a été déterminé qu’ils pratiquaient la pêche INN. L’accord exige donc une forte transparence dans la transmission des informations. Il s’agit du vrai gage de son efficience, alors que celle-ci n’est pas une valeur très universelle ou à géométrie variable.

Reste que l’efficacité de la lutte contre la pêche INN et la surexploitation repose avant tout sur les moyens de contrôle, comme des patrouilles en mer et des technologies pour identifier des bateaux, de loin ou de nuit, dans un secteur où le « pas vu, pas pris » domine. Un budget considérable pour les pays en développement, et même pour des pays qui disposent d’un vaste domaine maritime. Une minorité des activités illégales sont détectées.

  • Quelles seront les suites à Fish 1 ?

L’accord ne sera viable que si le deuxième volet des règles (Fish 2), en cours de négociations, est finalisé dans un délai de quatre ans. Sinon, il sera abrogé, sauf si les pays membres en décidaient autrement.

Si Fish 1 encadre des types de situations spécifiques, dont la surexploitation d’un stock, Fish 2 concerne la surcapacité des bateaux, la plus subventionnée. « Fish 2 s’attaque au fonds du problème », résume Alexandre Iaschine. « Même lorsque les opérateurs de pêche ne se livrent pas à des activités illégales ou lorsque les stocks ne sont pas (encore) surexploités, les subventions à la pêche peuvent être préjudiciables. Elles encouragent souvent le développement de flottes de pêche surdimensionnées et incitent à une pression de pêche excessive, pouvant conduire à terme à la surexploitation, voire à l’épuisement des stocks de poissons », prévient le rapport de la Fondation de la Mer qu’il dirige.

Ce volet dresse une liste générale de subventions interdites, comme sur le carburant ou sur la modernisation de navires. Dans ce cadre, pas besoin de détecter la pêche INN ou d’évaluer des stocks de poissons pour déclencher la règle : celle-ci s’applique, charge à l’État de démontrer qu’il a pris des mesures de gestion et qu’il a le droit de subventionner. « C’est très important de conclure la deuxième partie qui pourrait avoir un impact encore plus large que la première partie des règles. Quand on voit l’historique de la négociation, on est très proche de l’arrivée », affirme Tristan Irschlinger.

Cependant, si les États-Unis sont ratificateurs de Fish 1, c’est le fait de la précédente administration. La nouvelle adopte une position plus ambitieuse, mais également plus intransigeante, dans les négociations sur ce second volet. Tout comme l’Inde ou l’Indonésie, qui jugent le texte pas assez contraignant pour les grands États qui subventionnent. Prochaine échéance en mars 2026, au Cameroun.

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