La branche sahélienne d’Al-Qaïda, Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), a ouvert un nouveau front dans son insurrection au Mali en imposant un blocus autour de Kayes, l’une des régions les plus stratégiques du pays.
Le groupe a annoncé le 3 septembre qu’il coupait les villes de Kayes et Nioro-du-Sahel, qui comptent respectivement environ 130 000 et 50 000 habitants, dans le cadre d’une escalade drastique de ses activités dans le sud du Mali. Le JNIM a érigé des postes de contrôle sur les principales routes reliant Kayes à la capitale Bamako, ainsi qu’à Dakar (Sénégal) et Nouakchott (Mauritanie).
Les groupes armés ont restreint la circulation des marchandises et extorqué des « taxes » aux commerçants. Ils ont incendié des camions-citernes, des camions et des bus, enlevé des chauffeurs étrangers et attaqué des convois transportant du carburant importé du Sénégal et de Mauritanie. Des villages entiers auraient été paralysés, les marchés fermés, les transports interrompus et les services publics perturbés.
Les 5 et 6 septembre, des hommes armés présumés membres du JNIM ont tendu une embuscade à des camions-citernes en provenance de Côte d’Ivoire à Bougouni, dans la région de Sikasso, au sud du Mali. Plusieurs camions ont été incendiés. Les observateurs ont noté que le blocus était une tentative délibérée de déstabiliser Bamako en coupant l’approvisionnement de la ville en carburant.
« Kayes sert de porte d’entrée pour toutes les denrées alimentaires destinées au Mali en provenance du Sénégal et constitue un carrefour essentiel reliant Bamako à l’intersection des principaux axes routiers RN3 et RN25, tandis que Nioro-du-Sahel est situé sur la route principale reliant le Mali à la Mauritanie », a rapporté RFI, (Radio France Internationale) le 5 septembre.
« S’il est mis en œuvre avec succès, l’embargo annoncé par le JNIM contre les deux villes pourrait paralyser gravement toute la partie occidentale du pays ».
Pour le Mali, le blocus de Kayes touche une artère vitale, car la région abrite la ligne ferroviaire Dakar-Bamako et les principaux axes routiers reliant le Mali aux ports d’Afrique de l’Ouest.
Kayes est également une plaque tournante pour les transferts de fonds de la diaspora malienne, qui fait vivre de nombreux ménages.
Les analystes ont décrit cette décision (blocus) comme une « campagne de sabotage économique » visant à affaiblir l’autorité de l’État et à « asphyxier » l’économie malienne.
« Les corridors Bamako-Kayes, Kayes-Dakar et Bamako-Sikasso sont depuis longtemps considérés comme les « artères vitales » de l’économie nationale. Ces routes assurent la majeure partie des flux commerciaux, du transport de passagers et des livraisons de carburant vers les centres urbains. Leur blocage par des groupes armés pose un double défi au Mali : sécuritaire et économique », a rapporté le site privé Bamada.net le 8 septembre.
Déni de l’armée, puis escalade

L’armée malienne a d’abord minimisé la crise, son porte-parole, le colonel Souleymane Dembélé, qualifiant les informations faisant état d’un siège le 8 septembre de « guerre de l’information orchestrée par les médias étrangers ».
Il a insisté sur le fait que le véritable défi auquel sont confrontés les habitants de Kayes était « la saison des pluies et non les actions des groupes terroristes ».
M. Dembélé a qualifié l’intensification des activités du JNIM de « derniers soubresauts d’un ennemi acculé et en retraite ». C’est un refrain souvent utilisé par les responsables maliens depuis que la junte a pris le pouvoir il y a cinq ans.
Le 9 septembre, l’armée a déclaré avoir mené une frappe aérienne contre un camp du JNIM à Mousafa, dans la région de Kayes, tuant « plusieurs dizaines de militants » et détruisant un site qui aurait été utilisé à des fins logistiques et de planification.
Des renforts ont été envoyés à Kayes et Nioro, l’armée annonçant des « opérations de traque et de destruction » le long des principaux corridors et une « offensive de grande envergure » sur l’axe Diéma-Nioro.
Les médias d’État ont rapporté que des otages avaient été libérés au cours des opérations, sans toutefois fournir de chiffres.
Cependant, la réponse militaire semble avoir échoué à apaiser les craintes et les perturbations auxquelles sont confrontés les civils. Les habitants rapportent que les postes de contrôle des groupes armés sont toujours en place, que les sociétés de transport ont suspendu leurs activités et que les chauffeurs routiers continuent d’être victimes d’intimidations.
Des syndicats des transporteurs dénoncent un abandon des autorités
Trois des plus grands syndicats de transport du Mali ont lancé une attaque virulente contre les autorités du pays, les accusant »d’abandonner les chauffeurs à la merci d’extrémistes violents sur les routes ».
Dans une « déclaration commune », le Conseil malien des transporteurs routiers, le Syndicat national des transports et le Syndicat national des chauffeurs et opérateurs routiers ont déclaré que »leurs membres étaient confrontés chaque jour à des menaces mortelles, en particulier sur la route reliant Kayes à Bamako ».
Ces organisations affirment que les chauffeurs sont »exposés à des tirs, à des incendies criminels visant les camions et à des embuscades ciblées ».
Les syndicats ont rejeté les affirmations du gouvernement selon lesquelles les routes restent ouvertes et sûres, insistant plutôt sur le fait que « dans la réalité, toutes les routes sont impraticables ou extrêmement dangereuses ».
« Nous affirmons que la lutte contre le terrorisme ne peut être menée à coups de mensonges et de dissimulations. Les transporteurs sont au cœur de la vie économique et sociale du pays, mais nous ne pouvons plus continuer à risquer nos vies dans le silence et l’indifférence », peut-on lire dans la déclaration.
Leur déclaration fait suite à un week-end marqué par des attaques meurtrières. Des combattants armés à moto, liés à Al-Qaïda, ont incendié plus de 20 camions-citernes sur la route reliant le Sénégal au Mali, alors que ceux-ci étaient escortés par des soldats. Les attaques ont eu lieu entre Kaniéra et Lakamané, dans le secteur de Kayes-Nioro, au Sahel.
Des témoins affirment que l’escorte militaire a été submergée et contrainte de battre en retraite.
Les autorités sont restées silencieuses au sujet de ces attaques. L’armée malienne affirme toutefois intensifier sa campagne contre les groupes armés, déclarant avoir renforcé ses raids aériens et ses patrouilles et avoir « neutralisé plusieurs dizaines de terroristes ».
Pourquoi Kayes est si importante

Kayes est souvent considérée comme la « porte du Sénégal » au Mali. C’est une plaque tournante logistique où convergent les routes commerciales internationales.
Le Mali est un pays enclavé qui dépend fortement des ports de ses voisins (Sénégal, Mauritanie, Guinée et Côte d’Ivoire) pour son approvisionnement en carburant, en denrées alimentaires et en produits manufacturés. Le contrôle de Kayes est donc essentiel.
Le blocus perturbe non seulement la vie locale, mais menace aussi directement la stabilité économique de Bamako.
« La région de Kayes est devenue une cible stratégique majeure pour le JNIM, qui la considère comme un espace vital. Les djihadistes ont l’intention de perturber l’approvisionnement du pays, de déstabiliser, voire d’étouffer l’économie malienne, d’isoler la capitale Bamako et d’accroître la pression économique sur le régime de transition malien », a déclaré le 12 septembre l’Institut Timbuktu, basé à Dakar.
Le blocus marque également l’expansion géographique de l’insurrection du JNIM. Traditionnellement, les opérations du groupe se concentraient dans le nord et le centre du Mali, à Mopti, Ségou et Tombouctou. Cependant, ces dernières années, le JNIM a fait des percées significatives dans le sud du Mali, notamment dans les régions de Sikasso et Koulikoro.
En tournant son attention vers Kayes, le groupe élargit non seulement son champ d’action, mais menace également d’encercler Bamako.
Encerclement et expansion

Le blocus s’inscrit dans la stratégie du JNIM qui consiste à combiner pression militaire et perturbation économique. Plutôt que de se contenter d’embuscades armées, le groupe recourt à des sièges, des barrages routiers et des restrictions sur le carburant pour imposer son contrôle.
Son objectif est de rendre la gouvernance de l’État malien intenable et de forcer les communautés à négocier directement avec lui.
Le groupe a levé le 8 septembre le blocus qu’il imposait depuis quatre mois sur la ville de Gossi, dans le nord du Mali, après une médiation menée par des chefs communautaires, a rapporté le journal privé Le Soir de Bamako le 10 septembre.
Selon cet article, le blocus, imposé le 14 mai, avait perturbé l’approvisionnement alimentaire et paralysé les services de santé, ce qui avait incité les chefs communautaires à engager le dialogue avec les combattants islamistes.
Un récent message de propagande publié par Hamid al-Qawsi, un commentateur pro-Al-Qaïda, témoigne de la confiance grandissante du groupe. Il a partagé une carte montrant l’expansion de la présence du JNIM à Ségou, Koulikoro et Mopti. Il a salué la prise, le 19 août, d’une base militaire à Farabougou, près de Ségou, par le groupe armé.
Qawsi a déclaré que Farabougou, situé à un carrefour stratégique entre Ségou et Koulikoro, offre au JNIM un point d’ancrage pour s’étendre vers Nara et la frontière mauritanienne.
Après l’attaque, le JNIM a autorisé les civils déplacés à rentrer chez eux à condition qu’ils respectent strictement les préceptes islamiques, tandis que les miliciens rivaux de l’ethnie Dogon ont rendu leurs armes en échange de « protection, soins et garanties ».
Une menace au-delà du Mali
En perturbant les routes commerciales qui relient le Mali au Sénégal et à la Mauritanie, le JNIM a montré qu’il pouvait étendre son influence vers l’ouest, faisant craindre une expansion dans ces pays. Il existe également un risque de propagation en Côte d’Ivoire après les informations faisant état d’attaques contre des camions-citernes près de Bougouni, dans la région de Sikasso, à proximité de la frontière ivoirienne.
Les médias sénégalais ont largement couvert l’enlèvement de six ressortissants sénégalais, deux chauffeurs routiers et quatre apprentis, le long du corridor Bamako-Kayes.
L’Union des routiers sénégalais (URS) a accusé les groupes armés et qualifié ces enlèvements de menace pour le commerce régional.
Le Mali est le principal partenaire commercial africain du Sénégal, avec plus de 1,4 milliard de dollars d’exportations en 2024. La route Bamako-Kayes achemine du carburant, du ciment, des denrées alimentaires et des produits manufacturés essentiels aux deux économies.
En ciblant les véhicules commerciaux, le JNIM a perturbé les moyens de subsistance et intégré la perturbation économique dans son insurrection.
Les médias locaux et internationaux avertissent que la capacité du JNIM à isoler le sud du Mali pourrait ouvrir la voie à des incursions dans les pays côtiers voisins.
La crise met en évidence les limites du recours du Mali à la force militaire, soutenue par les mercenaires russes d’Africa Corps, dont le rôle dans les opérations n’est jamais officiellement reconnu.
Une nouvelle phase d’insurrection
Le blocus de Kayes constitue une escalade majeure de l’insurrection. Il démontre la capacité du JNIM à mener une guerre économique, sapant l’État par la violence et l’étranglement des activités économiques.
Ce qui a commencé comme une perturbation tactique risque de se transformer en un siège prolongé, érodant la confiance dans les institutions étatiques maliennes et exposant leur fragilité.
« Ce blocus est un autre exemple de la stratégie du JNIM », a rapporté Bamada.net.
« Au-delà des attaques armées conventionnelles, ces actions visent à paralyser l’économie nationale et à semer la panique. Le choix de cibler les bus et les camions-citernes n’est pas anodin : il s’agit de frapper au cœur même de la mobilité sociale et économique du Mali. »
Le siège de Kayes pourrait donc être plus qu’une simple flambée locale. Il s’agit d’un avertissement indiquant que l’insurrection djihadiste au Mali entre dans une nouvelle phase où le sabotage économique joue un rôle clé, avec des répercussions qui pourraient s’étendre bien au-delà des frontières du Mali.