La junte au pouvoir a dissous le mardi 13 mai les « partis politiques et les organisations à caractère politique », selon un décret présidentiel lu à la télévision publique. Cette décision était redoutée depuis plusieurs semaines par l’opposition.
La dissolution des partis survient après l’organisation d’une manifestation ayant réuni plusieurs centaines de personnes le 3 mai à Bamako pour dénoncer cette éventualité. Un rare acte de défiance vis-à-vis des militaires au pouvoir. La charte des partis, qui fixait notamment leur cadre moral et juridique et encadrait leurs fonctionnement, formation, création et financement, est donc abrogée.
Le projet de loi d’abrogation de cette charte a été adopté lundi par l’organe législatif créé par la junte, le Conseil national de transition (CNT). « Les partis politiques et les organisations à caractère politique sont dissous sur toute l’étendue du territoire national », indique le décret lu mardi sur l’ORTM par le ministre chargé des réformes politiques, Mamani Nassiré. Avant leur dissolution, il existait environ 300 partis politiques recensés au Mali.
Le chef de la junte malienne, Assimi Goïta, « a assigné une mission précise, poursuivre les réformes (…) afin de donner satisfaction au peuple malien sur la base d’un certain nombre de recommandations formulées lors des assises nationales de la refondation » de décembre 2021, a déclaré M. Nassiré.
Fin avril, une concertation nationale organisée par la junte, dans la suite des assises nationales de 2021, avait préconisé la dissolution des partis et le durcissement de leur création. Cette rencontre – marquée par la présence des soutiens du régime mais boycottée par la plupart des formations politiques – avait également proposé la proclamation sans élection cette année du général Assimi Goïta comme président pour un mandat de cinq ans renouvelable.
La classe politique malienne s’insurge contre cette décision


Des personnalités de l’opposition malienne ont critiqué la junte pour avoir dissous tous les partis politiques et interdit les activités politiques.
Moussa Mara, ancien premier ministre et chef du parti d’opposition Yelema, a déclaré que les restrictions imposées par la junte provoquaient « une profonde tristesse pour la démocratie multipartite ».
« Cette décision a porté un coup sévère aux efforts de réconciliation initiés l’année dernière », a-t-il ajouté dans un message sur les réseaux sociaux.
Nouhoum Togo, président du parti de l’Union pour la sauvegarde de la République (USR), a déclaré dans un autre message : « Peu importe les efforts qu’ils déploient pour vous rendre invisibles, votre valeur ne dépend pas de leur reconnaissance ».
Les Maliens de l’étranger ont également dénoncé ce qu’ils décrivent comme une tentative de réduire l’opposition au silence.
Sadio Kané, membre du Panel des démocrates maliens, un groupe de civils de la diaspora qui s’oppose au régime militaire dans son pays, a exprimé sa déception face à une telle initiative. « Ils [les dirigeants militaires] démontrent qu’ils sont incapables d’organiser des élections malgré la tenue d’un référendum en 2023 », a-t-elle déclaré à la BBC, ajoutant que les chefs militaires « n’ont plus rien à offrir, raison pour laquelle ils doivent effacer les autres pour rester seuls sur le terrain [politique] ».
Certains analystes, comme Ulf Laessing, voient dans la décision de l’armée d’interdire les activités politiques une signification plus profonde. « Cette décision s’inscrit dans une volonté de rompre avec les anciennes élites qui étaient au pouvoir depuis l’indépendance et qui étaient considérées comme très proches de l’ancienne puissance coloniale, la France », a-t-il déclaré à la BBC.
La junte a justifié ses restrictions en affirmant que le pays subissait des « réformes ».
Répression des libertés

Lors des manifestations organisées à Bamako plusieurs centaines d’opposants ont porté des pancartes sur lesquelles figuraient des messages appelant à des élections multipartites.
Plus tôt dans la journée de mardi, les autorités maliennes ont suspendu « jusqu’à nouvel ordre » la chaîne de télévision française TV5 Monde. Il lui est reproché un manque d’impartialité dans un reportage sur une manifestation de l’opposition. Le multipartisme, ainsi que les libertés d’expression et d’association, ont été consacrés au Mali par la Constitution de 1992, année de la démocratisation.
Une nouvelle coalition d’une centaine de partis s’est récemment formée au Mali pour « exiger la fin effective de la transition politico-militaire au plus tard le 31 décembre 2025 » et appeler « à la mise en place d’un calendrier de retour rapide à l’ordre constitutionnel ».
Elle avait aussi « catégoriquement » rejeté la décision de la junte de suspendre les activités des partis politiques et des associations. L’opposition dans le pays a déjà été visée par des mises en cause judiciaires, des arrestations de certains leaders politiques et des dissolutions d’organisations.
Lors des manifestations organisées à Bamako les 3 et 4 mai, plusieurs centaines d’opposants ont porté des pancartes sur lesquelles figuraient des messages appelant à des élections multipartites et ont scandé des slogans tels que : « A bas la dictature, vive la démocratie »
À l’approche d’une autre manifestation prévue le 9 mai, le Mali a suspendu les activités politiques dans tout le pays, obligeant les partis d’opposition à annuler leur rassemblement. Entre-temps, trois hommes politiques de l’opposition ont été enlevés ces derniers jours, selon des responsables de partis et des militants des droits de l’homme.
Human Rights Watch a déclaré la semaine dernière qu’Abba Alhassane, secrétaire général de la Convergence pour le développement du Mali (CODEM), avait été arrêté par des « hommes armés masqués prétendant être des gendarmes » le 8 mai. Le même jour, des « hommes non identifiés » se sont emparés d’El Bachir Thiam, chef du parti Yelema, dans la ville de Kati, à l’extérieur de Bamako.
Mardi, un membre du CODEM, s’exprimant sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité, a déclaré à Reuters que le parti n’avait pas eu de nouvelles d’Abdoul Karim Traore, un responsable de la jeunesse du parti, depuis deux jours et qu’il craignait qu’il ait été enlevé lui aussi. Lorsque les militaires ont pris le pouvoir lors de coups d’État distincts en 2020 et 2021, ils ont promis de laisser la place aux civils. Cependant, ils sont revenus sur leur promesse d’organiser des élections en février 2022.