Le Premier ministre canadien Mark Carney, qui a remporté les législatives ce lundi 28 avril, a l’habitude de naviguer dans la tempête. Cet ancien gouverneur de deux banques centrales devra maintenant affronter l’ouragan Trump, là où les Canadiens l’attendent avant tout.
Il y a quelques mois encore, la voie semblait toute tracée pour permettre aux conservateurs canadiens emmenés par Pierre Poilievre de revenir aux affaires, après dix ans de pouvoir de Justin Trudeau. Mais le retour de Donald Trump à la Maison Blanche et son offensive inédite contre le Canada, à coups de droits de douane et de menaces d’annexion, ont changé la donne.
Face à cette nouvelle menace, Mark Carney s’est imposé au fil des semaines comme le visage d’une opposition ferme et directe face à l’agressivité du grand voisin américain. Il a encore répété, lors de son discours de victoire, que le Canada allait « gagner cette guerre » contre les États-Unis. Ce novice en politique a donc réussi à convaincre les Canadiens que son expertise en matière économique et financière faisait de lui l’homme de la situation pour piloter le pays plongé dans une crise inédite.
Avec la victoire de son parti aux législatives, il va devoir rapidement faire ses preuves face à Donald Trump. Un défi qu’il assure pouvoir relever. « Je suis plus utile en période de crise. Je ne suis pas très bon en temps de paix », a-t-il confié récemment, sur un ton amusé, devant une petite assemblée dans un bar de l’Ontario. L’économiste de 60 ans est en effet habitué à faire face aux tumultes de l’économie mondiale.
À la tête de deux banques centrales
Fils d’enseignants, né à Fort Smith dans les Territoires du Nord-Ouest, mais élevé à Edmonton dans cet ouest canadien plutôt rural et conservateur, Mark Carney est père de quatre filles et fan de hockey. Un sport qu’il a beaucoup pratiqué, notamment comme gardien à l’université. Diplômé de Harvard, il décroche un doctorat en économie à Oxford, avant de faire fortune en tant que banquier d’affaires pendant treize ans chez Goldman Sachs, à New York, Londres, Tokyo et Toronto.
En 2008, en pleine crise financière mondiale, il est nommé gouverneur de la Banque du Canada par le Premier ministre conservateur, Stephen Harper. Son leadership est salué pour avoir permis au pays d’éviter le pire de la crise. Cinq ans plus tard, il est choisi par le Premier ministre britannique David Cameron pour diriger la Banque d’Angleterre, devenant le premier étranger à la tête de l’institution. Peu après, il est confronté aux turbulences provoquées par le vote du Brexit. Une tâche accomplie avec « conviction, rigueur et intelligence », selon le ministre britannique des Finances de l’époque, Sajid Javid.

Son bilan économique à la tête des institutions et sa gestion des crises sont vites devenus des arguments dans sa course à la tête du Parti libéral : « J’ai aidé à gérer plusieurs crises et j’ai aidé à sauver deux économies. Je sais comment les affaires fonctionnent et je sais comment les faire fonctionner pour vous », avait déclaré au début de sa campagne celui qui a parfois été surnommé « la rock star des banques centrales » par la presse spécialisée.
Cela faisait des années que les rumeurs annonçaient son entrée en politique. Mais c’est seulement début janvier, après la démission de Justin Trudeau – dont il a été le conseiller économique durant la crise du Covid – qu’il décide de se jeter dans l’arène. Jusque-là, ce catholique pratiquant était président des investissements d’une entreprise canadienne de gestion d’actifs et l’envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique depuis 2020.
L’homme du moment face à Trump
Ayant conquis le PLC début mars en se présentant comme un « outsider », il devient Premier ministre et déclenche des élections dans la foulée. Il veut un « mandat fort et clair » pour faire face aux menaces de Donald Trump, qui cherche à « briser » le pays. Le locataire de la Maison Blanche, en plus d’imposer des droits de douanes à son allié historique, ne cesse de répéter – y compris le jour même du scrutin – que le destin du Canada est de devenir « le 51e État américain ».
Mark Carney a basé toute sa campagne sur sa capacité à affronter ces obstacles et à jouer les négociateurs en chef, surfant sur le patriotisme et la colère des Canadiens indignés par les mesures et les propos du grand voisin. Reste maintenant à voir s’il pourra honorer ses promesses et relever les défis qui l’attendent. Car c’est un véritable pari pour quelqu’un sans expérience politique, qui n’a jamais mené de campagne et qui a pris les rênes d’un parti plombé par l’impopularité de Justin Trudeau en fin de mandat.
Beaucoup d’analystes s’interrogeaient sur sa capacité à retourner la situation, alors que de nombreux Canadiens tenaient les libéraux pour responsables de la forte inflation et de la crise du logement dans le pays. Mais « Mark Carney est parvenu à imposer l’idée qu’il représente le renouveau et que son expérience passée de gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre lui donne une expérience pour être en mesure d’affronter Donald Trump », explique Frédéric Boily, professeur de sciences politiques à l’université de l’Alberta, au micro de RFI. « Sur ce plan, il est parvenu à imposer cette thématique et, par conséquent, certains voient en lui comme une sorte de sauveur pour, éventuellement, faire reculer Donald Trump », poursuit le spécialiste.
Un profil rassurant
Peu charismatique, à l’opposé de l’image flamboyante de Justin Trudeau à ses débuts, il semble que c’est justement son sérieux et son CV qui ont finalement convaincu une majorité de Canadiens. Malgré quelques coups de com’ et un peu de buzz durant sa campagne, « c‘est un technocrate un peu ennuyeux, qui pèse chacun de ses mots », explique Daniel Béland de l’Université McGill de Montréal à l’AFP.
Mais aussi « un spécialiste des politiques publiques qui maîtrise très bien ses dossiers ». « Ce profil rassure et répond aux attentes des Canadiens pour gérer cette crise », ajoute Geneviève Tellier, professeure de sciences politiques à Ottawa, qui estime que le pays « est à la recherche d’un sauveur ». La presse canadienne le décrit comme un homme d’action, « un peu secret », pragmatique et cartésien, qui se sait « impatient ».
Son principal opposant, le conservateur Pierre Poilievre, l’avait décrit comme un membre de « l’élite qui ne comprend pas ce que vivent les gens ordinaires », analyse Lori Turnbull, professeure à l’université Dalhousie. Mais le ton populiste du candidat du PCC semble l’avoir desservi, rappelant trop celui de Trump, devenu une figure repoussoir pour de nombreux électeurs. Par ailleurs, Mark Carney ne s’en est pas caché durant la campagne : « On va m’accuser d’être “élitiste” ou “mondialiste”, mais le fait est que c’est exactement ce dont nous avons besoin », prévenait-il.
Lui qui se définit centriste a coupé l’herbe sous le pied des conservateurs et pris ses distances avec l’aile gauche de son parti, en assumant un virage à droite. Limiter l’immigration, renouer avec l’équilibre budgétaire, rendre la dépense publique « plus efficace »…. Et recul non des moindres : l’abandon de la taxe carbone, une mesure environnementale phare du gouvernement Trudeau, dont il était un fervent défenseur jusque-là.
Reste un sujet qui semble lui faire perdre son flegme : la question de son patrimoine. Selon Bloomberg, il disposait en décembre des stock-options pour plusieurs millions de dollars. Et ses rares échanges tendus avec des journalistes pendant la campagne ont concerné cette fortune personnelle. Autre ombre au tableau : sa maîtrise chancelante du français, dans un pays où le bilinguisme est un sujet sensible. Mais les Canadiens l’attendent avant tout sur le ring face à Trump, dans un match qui s’annonce sans concessions.