Le président du parti chrétien-démocrate allemand (CDU) est sorti vainqueur des élections anticipées dimanche 23 février. Les conservateurs devraient former une coalition avec les sociaux-démocrates du sortant Olaf Scholz qui a subi une défaite historique.
Friedrich Merz est un revenant dont la carrière a été marquée par de nombreuses ruptures. Le chrétien-démocrate va devenir chancelier à 69 ans. Il adhère en 1972 à la CDU et s’engage dans le mouvement de jeunesse du parti. Après des études de droit, il travaille comme juge puis pour la fédération de l’industrie chimique avant d’être élu au Parlement européen en 1989, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Ce premier mandat, il le répète souvent, a marqué Friedrich Merz qui se présente comme un fervent Européen. Originaire de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans l’ouest de l’Allemagne, il est l’héritier des chanceliers « rhénans » Konrad Adenauer ou Helmut Kohl, pour qui l’Europe jouait un rôle central.
Ce jeune homme prometteur aux talents rhétoriques reconnus abandonne après un mandat le Parlement européen pour rejoindre le Bundestag. Son mentor Wolfgang Schauble, à l’époque le dauphin potentiel d’Helmut Kohl, soutient sa carrière. Après l’échec du chancelier de la réunification allemande en 1998, la carrière de Friedrich Merz continue son ascension. En l’an 2000, une certaine Angela Merkel est élue à la tête de la CDU. Friedrich Merz prend la direction du poste influent de président du groupe parlementaire chrétien-démocrate au Bundestag, dans l’opposition à l’époque face au chancelier social-démocrate Gerhard Schroder. Angela Merkel est encore perçue comme une solution de transition après le scandale des caisses noires d’Helmut Kohl qui ébranle la CDU.
Friedrich Merz peut donc espérer poursuivre son ascension politique et devenir un jour chancelier. Mais son ambition est brutalement interrompue en 2002 lorsque Angela Merkel, qui deviendra sa rivale de toujours, met Friedrich Merz sur la touche. Pour asseoir son pouvoir, la future chancelière veut diriger le groupe parlementaire chrétien-démocrate au Bundestag. Les critiques ultérieures de Merz contre la politique de Merkel s’expliquent aussi par ce coup politique qui brise l’envol de l’ambitieux chrétien-démocrate et alimente une rancune et une volonté de revanche.
Une parenthèse dans la finance
Lorsque Angela Merkel accède au pouvoir en 2005, Friedrich Merz n’intègre pas l’équipe autour de la nouvelle chancelière. Il abandonne la vie politique quatre ans plus tard pour faire carrière avec succès dans les affaires. Il exerce différents mandats dans des conseils de surveillance et travaille notamment pour la société américaine BlackRock, l’un des plus gros gestionnaires d’actifs au monde. Friedrich Merz gagne beaucoup d’argent et se déplace en jet privé. Une aisance qui sera utilisée contre lui par la gauche après son retour en politique pour le présenter comme un « suppôt » de la finance et le lobbyiste du monde des affaires. Merz est depuis longtemps partisan d’une politique économique libérale favorable aux entreprises et plaide pour des baisses d’impôts.
Ces activités l’amènent à se rendre souvent aux États-Unis, pays qu’il connaît bien et où il dispose de nombreux contacts. L’Européen Merz est aussi un atlantiste convaincu. Il dirige longtemps le think tank « Atlantik-Brücke » qui soutient les relations étroites entre les États-Unis et l’Europe. Autant dire qu’arriver au pouvoir au moment où l’administration Trump semble vouloir détruire ce pilier central de l’identité de l’Allemagne d’après-guerre n’est pas simple pour Friedrich Merz. Le futur chancelier voit un axe central de sa politique étrangère remise en cause. Mais il est un fervent partisan d’une Europe souveraine et a encore souligné ce lundi son entier soutien à Emmanuel Macron sur ces questions.
C’est à la faveur du départ de son éternelle rivale, Angela Merkel, que Friedrich Merz annonce son comeback sur la scène politique. Mais ce retour sera laborieux et l’impétueux sexagénaire songe parfois à jeter l’éponge. Il lui faudra trois tentatives pour finalement conquérir la direction de la CDU après deux échecs contre des « merkeliens ». La défaite historique de son parti aux législatives de 2021 permet enfin à Friedrich Merz d’être élu à la tête de la CDU.
Un style qui tranche avec celui d’Angela Merkel
Le nouveau président du parti chrétien-démocrate parvient à rassembler derrière lui un parti encore sous le coup de la défaite. Son retour au premier plan deux décennies plus tard marque également un tournant après l’ère Merkel. Friedrich Merz, catholique pratiquant, père de famille, défend des valeurs conservatrices qui tranchent avec la libérale Angela Merkel, comme ont pu l’illustrer des déclarations sur l’homosexualité ou son refus de quotas pour les femmes. Friedrich Merz, qui a longtemps critiqué la politique libérale d’Angela Merkel sur l’immigration, plaide pour des mesures des plus fermes sur ces questions. Après plusieurs attaques commises par des migrants durant la campagne électorale, il a défendu le refoulement de tous les migrants sans papiers aux frontières de l’Allemagne. Le futur chancelier a aussi suscité une vive polémique en brisant un tabou en faisant adopter au Bundestag fin janvier une motion anti-immigration avec les voix de l’extrême droite.
Ce dossier a joué un rôle central dans les dernières semaines de la campagne et a contribué à une forte polarisation. Si les attaques contre Merz et de nombreuses manifestations dénonçant la motion votée au Bundestag n’ont pas nui à la CDU, le score obtenu dimanche par les chrétiens-démocrates est en demi-teinte. Ils restent en dessous de la barre des 30 %. Il s’agit du deuxième plus mauvais résultat depuis la guerre. La droitisation sur la migration n’a pas permis de réduire le score de l’AfD. Le parti d’extrême droite double son résultat des dernières législatives avec un peu plus de 20 %. Les transferts de voix montrent que la CDU n’a pas récupéré de voix de l’Alternative pour l’Allemagne ; au contraire, 900 000 électeurs chrétiens-démocrates ont cette fois préféré voté pour l’AfD.
Friedrich Merz est enfin aux portes du pouvoir. Il pourra constituer une coalition avec les sociaux-démocrates qui disposera d’une majorité en sièges au Parlement. Il faudra encore trouver des compromis difficiles, mais chrétiens et sociaux-démocrates ont une longue expérience en la matière. Ils ont travaillé ensemble durant trois des quatre mandats d’Angela Merkel. Ironie de l’histoire, Friedrich Merz qui critiquait ces alliances, devra comme sa prédécesseuse y recourir.
Source : rfi.fr